17 Oct 2018 Récit Climate Action

Rêve d'oasis : reverdir le désert de Djibouti

Ali Omar, âgé de 75 ans, se souvient d'une époque où cette région du nord de Djibouti où il a grandi, maintenant quasiment désertique, était une station balnéaire animée dont les eaux étaient remplies de poissons. « Beaucoup de gens vivaient ici et avaient des magasins tout au long du bord de mer », dit-il, se remémorant l'âge d'or de Khor Angar, sa ville natale, dans les années 1970, avant qu’il ne fasse chaud toute l’année et que le village ne soit réduit à quelques cabanes dans le désert.

« Il fallait même porter une veste ici », dit-il, plissant les yeux en raison du soleil du matin et se tenant près de la côte désertée, à l'exception de quelques crabes se déplaçant dans l'écume. Auparavant, il y avait suffisamment d'eau douce pour tous et une quantité de fruits de mer telle que des avions venaient de la capitale pour charger des cargaisons de homard, de crabe, de poisson et de langoustine.

« Puis les problèmes ont commencé », affirme Omar. La montée de l'eau de mer a commencé à former des bancs de sable qui ont fini par bloquer un canal alimentant une forêt de palétuviers en eau de mer oxygénée, fournissant un lieu de reproduction pour les poissons et les crabes. Les palétuviers dépérissaient et mouraient et leurs troncs tombés au sol étouffaient davantage la forêt de mangroves.

« La forêt était jonchée de bois mort, empêchant les arbres survivants d'obtenir de l'eau fraîchement oxygénée », explique Mohammed Omar, qui dirige un petit hôtel écologique situé près des mangroves. « Les mangroves ont besoin de boue pour se développer, mais le sable y pénétrait, les étouffait et l'eau stagnait parce que l'eau salée dont ils avaient besoin était bloquée », dit-il. « Beaucoup de mangroves sont mortes et les poissons ont disparu. »

La forêt ne cessait de diminuer et la communauté locale abattait des arbres pour le bois de chauffage et le bois de construction, tandis que le reboisement naturel (la chute des graines de mangrove permettant à de nouveaux arbres de pousser) était interrompu en raison de la dégradation des arbres.

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Les agriculteurs plus âgés se souviennent d'une époque où le désert était vert et où ils pouvaient y faire paître leurs vaches. La désertification implique qu'ils ne peuvent plus élever de bétail et que les chèvres et les chameaux doivent parcourir de longues distances pour trouver des zones de verdure. Photo ONU Environnement / Hannah McNeish

« Les mangroves sont très importantes pour l’écosystème et pour la protection des petits poissons qui y vivent », explique Hassan Haissama Gozola, expert en mangroves, fonctionnaire au ministère de l’Environnement de Djibouti. « Les poissons viennent s'y abriter pour pondre leurs œufs, et une fois nés, les poissons juvéniles ont besoin d’un endroit pour se développer avant de rejoindre la mer », ajoute-t-il.

Avec la diminution de l’activité de la pêche et la raréfaction de l’eau douce, les habitants qui vivaient dans le désert depuis des générations ont commencé à partir. Ceux qui décidaient de rester avaient l'obligation soit d'acheter du carburant pour alimenter les groupes électrogènes et pomper de l'eau douce du sol, une eau de plus en plus difficile à atteindre en raison de l'intrusion d'eau salée dans les aquifères, soit d'avoir recours aux camions-citernes venant de la ville la plus proche.

À travers le monde, l'élévation du niveau de la mer et des températures, la déforestation et les précipitations de plus en plus imprévisibles endommagent des écosystèmes côtiers déjà fragiles. Les populations de pays déjà arides et pauvres comme Djibouti se retrouvent en première ligne de la lutte contre les changements climatiques.

« Khor Angar est la plus grande forêt de mangrove à Djibouti et la plus importante. Auparavant, sa surface était de120 hectares, elle est désormais de 60 hectares », explique Mohamed Ahmed Djibril, spécialiste de l'adaptation au changement climatique et fonctionnaire au ministère de l'environnement de Djibouti. « Pour nous assurer qu'elle ne disparaisse pas, nous avons dû intervenir. »

Pour sauver cet important écosystème et faire en sorte que les personnes qui en dépendent puissent continuer à subvenir à leurs besoins, le gouvernement de Djibouti, ONU Environnement et ses partenaires ont aidé la communauté à restaurer les zones forestières, à débloquer des canaux et à améliorer l'approvisionnement en eau potable.

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Les changements climatiques et la déforestation autour des mangroves ont réduit la taille des lieux de reproduction des poissons et les prises de pêche ont diminué dans le nord de Djibouti. Photo ONU Environnement / Hannah McNeish

Grâce à un financement d'un peu plus de 2 millions de dollars américains du Fonds pour l'environnement mondial, le projet a permis la restauration des forêts de mangroves visant à protéger les écosystèmes et les communautés contre l'intrusion d'eau de mer. Les membres de la collectivité ont nettoyé les débris qui encombraient la forêt et des pelleteuses ont été rendues disponibles afin d'extraire les plus gros morceaux de bois morts et dégager le sable des canaux d'eau de mer. Une fois la circulation de l'eau rétablie, la forêt pouvait à nouveau respirer et repousser.

De nouvelles générations de palétuviers parsèment désormais le rivage à l'extérieur du village, dans une zone clôturée visant à empêcher les chameaux, le seul animal capable de survivre à Khor Angar en raison du manque de pâturage, de se nourrir des feuilles de palétuviers.

La pépinière de Khor Angar produit actuellement environ 35 000 plants par an, la communauté a planté plus de 100 000 plants au total, se réjouit Djibril, qui a supervisé ce projet pilote. « Le plus important pour nous était de faire en sorte que la communauté qui dépend de ces mangroves puisse vivre et continuer à en vivre », affirme-t-il.

Il faudra entre 50 et 100 ans pour complètement restaurer la forêt de mangroves, mais la communauté en voit déjà les résultats, notamment avec le retour des crabes dans la région. Pour Ali Omar, ce n’est pas comme avant, « mais ça s’améliore, petit à petit ». L’objectif est que le reboisement naturel prenne le relais de la replantation réussie des mangroves grâce au projet et que le taux de mortalité des arbres soit maintenu à 0,5%.

Le projet a permis aux communautés de pêcheurs d'augmenter leurs stocks de poissons en baisse en leur fournissant un meilleur équipement et une formation aux pratiques de pêche durables, à la culture du palmier dattier, à l'éco-tourisme et à la petite agriculture. Le projet a également aidé les populations à avoir accès à une eau douce de meilleure qualité et moins chère en modernisant le système de dessalement grâce à une nouvelle pompe, des conduits et un générateur.

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Un pêcheur montrent des zones de croissance de mangroves et les quelques zones d'arbres dégradés restantes après qu'un projet mené par la communauté ait permis de nettoyer la forêt de bois mort bloquant l'oxygène nécessaires aux palétuviers vivants et aux poissons. Photo par ONU Environnement / Hannah McNeish

Khor Angar est l'un des deux sites de Djibouti où le projet a permis aux communautés de s'adapter aux changements climatiques et aux effets des sécheresses plus fréquentes et des pluies irrégulières. Dans une région du sud de Djibouti du nom de Damerjog, le projet a rendu possible la construction de trois petits barrages pour améliorer l’agriculture et empêcher l’infiltration d’eau salée dans les puits et soutenir l’irrigation solaire dans 18 fermes.

ONU Environnement et ses partenaires ont également soutenu la construction d'une petite pépinière d'arbres pour faire pousser des palmiers dattiers à l'ombre, pour ses fruits et pour vérifier si les zones du désert pourraient être reverdies avec succès. « Auparavant, il y avait tellement de forêt que vous ne pouviez même pas voir les gens qui passaient », explique Ali Ibrahim Mohammed, âgé de 65 ans, qui a pu observer le changement de la météo :

« Quand j’étais petit, il pleuvait chaque saison et depuis dix ans, il n’a pas plu du tout », dit-il. « Sans arbres, il n'y a pas de pluie et sans pluie, il n'y a rien. »

Mohammed espère que les palmiers dattiers plantés en 2014, dont la hauteur lui arrive maintenant aux genoux, survivront et que l'initiative de reboisement sera élargie pour assurer la survie des habitants des zones environnantes.

Abdul Mohammed Omar marche encore deux kilomètres par jour pour surveiller et arroser les arbres, même s'il n'est plus payé. « Je travaille pour mon pays et ma communauté », a-t-il déclaré, ajoutant qu'il rêvait du jour où les arbres porteraient des fruits et fourniraient des zones de verdure et d'ombre indispensables dans le désert de Djibouti.

Pour en savoir plus sur le travail d’ONU Environnement en matière d’adaptation au changement climatique, veuillez contacter Jessica Troni : jessica.troni@unenvironment.org.